Située entre mer et archipel, Stockholm, la capitale de la Suède, est bien plus qu’une simple métropole nordique, elle est la capitale du droit international du nord.
Son paysage naturel, où se mêlent tradition et modernité, reflète en effet son rôle central dans le droit international. La Suède, connue pour son attachement à la neutralité et aux droits humains, est un acteur de poids sur la scène internationale. Elle est à la fois médiateur, innovateur en matière de droit environnemental et arbitre des grandes questions globales.
Objet d'un court séjour en juillet 2024, je vous invite à retracer ce long week-end à Stockholm pour explorer ses monuments, ses institutions et ses places fortes du droit international, tout en mettant en lumière les défis actuels auxquels la Suède fait face dans un monde multipolaire.
Jour 1 : L’histoire juridique et diplomatique de Stockholm
Gamla Stan ou les racines diplomatiques de la Suède
Notre voyage commence à Gamla Stan, le centre historique de Stockholm. Flâner dans ses ruelles pavées, parmi les maisons colorées, c’est voyager à travers le temps. Ici se trouve le Palais royal, où l’histoire juridique et diplomatique suédoise s’est construite.
La Suède est depuis longtemps associée à la neutralité et à la paix. En 1814, elle a signé une union avec la Norvège après des siècles de conflits, entamant ainsi une politique de non-alignement militaire qui allait marquer son rôle sur la scène internationale. Cette posture a permis à Stockholm de devenir le siège de négociations de paix et d’institutions clés du droit international. Par ailleurs, la Suède est également reconnue pour son engagement humanitaire et sa politique sociale progressiste. Elle a souvent été l’une des premières nations à accueillir des réfugiés fuyant les conflits et les persécutions à travers le monde. Cet esprit d’ouverture et de solidarité s’inscrit dans une tradition culturelle qui valorise l’égalité, la justice sociale, et les droits de l’homme, renforçant ainsi son image d’exemple sur la scène mondiale.
L’importance des traités de paix dans l’histoire suédoise
Un exemple marquant du rôle diplomatique de cet État nordique et de son symbolisme pour le droit international est la Paix de Westphalie (1648), à laquelle la Suède a contribué de manière significative. Cette série de traités, souvent considérée comme le fondement du droit international moderne, a consacré des principes tels que la souveraineté étatique. La Suède, en tant que signataire, s’est affirmée comme une puissance diplomatique respectée.
La Suède joue un rôle central à travers la communauté internationale grâce à son engagement envers les droits de l'homme et les initiatives humanitaires. Depuis le XXe siècle en effet, le pays s'est imposé comme un acteur majeur dans la promotion de la paix, notamment grâce à sa participation lors des missions de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et son soutien continu à l'éducation, l'égalité des genres et le développement durable dans les régions les plus vulnérables du monde.
Un autre aspect notoire de l'influence suédoise sur la scène internationale réside dans son rôle de médiateur dans les conflits contemporains. Connue pour son engagement en faveur de la paix, la Suède a joué un rôle central dans des négociations telles que celles concernant le conflit entre la Corée du Nord et la communauté internationale, ou encore dans les discussions sur la crise du Yémen. Ce rôle actif illustre non seulement la continuité de son héritage diplomatique, mais aussi son engagement profond envers le maintien de la stabilité mondiale et la promotion des droits de l'homme.
Riksdagshuset : Le Parlement et les droits humains
Après une visite de Gamla Stan, dirigeons-nous vers Riksdagshuset, le Parlement suédois. C’est ici que la Suède a adopté des lois emblématiques en faveur des droits humains et de la démocratie.
En 1948, la Suède fut l’un des premiers pays à signer la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le pays est également membre fondateur du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme, jouant un rôle actif dans l’évolution du droit européen des droits humains.
Le Premier ministre Olof Palme (1969-1976, 1982-1986) est largement reconnu comme une figure emblématique de cette tradition. Réputé pour son engagement résolu contre l’apartheid en Afrique du Sud et son opposition à la guerre du Vietnam, Olof Palme a promu une vision du droit international fondée sur les principes de justice sociale. Sa doctrine continue d’être une référence majeure et une source d’inspiration pour les universitaires ainsi que pour les professionnels du droit international. Un autre aspect marquant de l'héritage d'Olof Palme réside dans son engagement pour la réduction des inégalités économiques à l'échelle mondiale. Il a plaidé en faveur d'une coopération internationale renforcée afin de soutenir les pays en développement, soulignant l'importance d'une redistribution équitable des ressources mondiales. Cette approche progressiste, qui visait à établir un équilibre entre croissance économique et solidarité internationale, reste aujourd'hui un pilier de nombreux discours politiques sur le développement durable.
Jour 2 : Stockholm et les institutions du droit international
L’Institut de Stockholm pour l’environnement : une capitale verte
Le deuxième jour commence au cœur de l’innovation environnementale. Stockholm abrite l’Institut de Stockholm pour l’environnement (SEI), une organisation de recherche de renommée mondiale. En continuant notre exploration de la ville, nous ne pouvons pas manquer le parc national urbain Royal Djurgården. Ce havre de paix allie nature préservée et patrimoine culturel, offrant des sentiers boisés, des musées emblématiques et une véritable évasion au cœur de la capitale. Djurgården est un exemple vivant de l'engagement de Stockholm envers la durabilité et l'équilibre entre urbanisme et espaces verts. Ce quartier emblématique accueille également une riche diversité culturelle et historique, avec ses musées renommés, ses galeries d'art et ses monuments patrimoniaux. Chaque visite à Djurgården invite à une immersion à la fois dans la nature et dans l'histoire fascinante de la Suède, créant une expérience unique pour les visiteurs.
Ces lieux reflètent de manière évidente le rôle de la Suède dans le droit environnemental.
La Suède a, en effet, été pionnière en matière de droit environnemental international. La Conférence de Stockholm de 1972, souvent appelée la naissance du droit international de l’environnement, a marqué un tournant dans la gouvernance mondiale de l’environnement. Cette conférence a conduit à la création du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et à l’adoption du Principe 21, qui reconnaît le droit souverain des États à exploiter leurs ressources, tout en protégeant l’environnement.
Un autre aspect incontournable est l'engagement de la Suède dans les initiatives locales de développement durable. De nombreuses villes suédoises, telles que Malmö et Stockholm même, incarnent des modèles de planification urbaine écologique. Grâce à des infrastructures vertes, des transports publics efficaces, et des objectifs ambitieux de neutralité carbone, ces villes illustrent concrètement comment la Suède met en pratique son leadership environnemental au quotidien, tout en inspirant d'autres pays à suivre leur exemple.
Aujourd’hui, la Suède reste en tête des initiatives environnementales internationales, notamment en soutenant l’Accord de Paris de 2015 et en proposant des solutions innovantes pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD). Par ailleurs, le pays se distingue par son engagement envers l'économie circulaire, prônant la réduction des déchets et la réutilisation des ressources pour minimiser l'impact environnemental. En investissant massivement dans les technologies vertes et en favorisant les partenariats entre les secteurs public et privé, la Suède inspire d'autres nations à adopter des modèles économiques plus durables et respectueux de la planète.
Le Stockholm Centre for International Law and Justice
Après cette immersion dans le droit environnemental, visitons le Stockholm Centre for International Law and Justice, un institut académique rattaché à l’Université de Stockholm.
S'inscrivant dans un pôle d’excellence du droit international, ce centre est largement reconnu pour son expertise en droit humanitaire, en droit de la mer ainsi qu’en arbitrage international. Il organise régulièrement des colloques d’envergure qui rassemblent des juristes de renommée mondiale. Par ailleurs, Stockholm s’est distinguée comme une destination privilégiée pour l’arbitrage commercial international, grâce notamment à l’influence et au rayonnement de la Chambre de commerce de Stockholm. La ville s’affirme également comme un carrefour essentiel pour la recherche académique et les publications juridiques. Plusieurs institutions et universités suédoises collaborent étroitement avec des experts et éditeurs de renom afin de produire des travaux de référence dans le domaine du droit international. Ces contributions significatives enrichissent les débats juridiques à l’échelle mondiale et consolident la position de Stockholm en tant que centre intellectuel et innovant sur la scène internationale.
Un cas célèbre traité à Stockholm est l’arbitrage Yukos, dans lequel la Russie a été condamnée à verser 50 milliards de dollars aux actionnaires de l’entreprise pétrolière Yukos. L'affaire Yukos constitue l'un des cas d'arbitrage international les plus marquants de l'histoire récente, mettant en lumière les interactions complexes entre le droit international, les droits des investisseurs étrangers et la souveraineté des États. Yukos, autrefois l'une des plus grandes compagnies pétrolières russes, avait été démantelée par les autorités russes au milieu des années 2000, officiellement pour des raisons fiscales. Cependant, les anciens actionnaires de Yukos avaient allégué que ces actions visaient à exproprier illégalement l'entreprise, en violation de leurs droits protégés par le Traité sur la Charte de l'Énergie (TCE). Dans une décision historique rendue en 2014 par la Cour Permanente d'Arbitrage de La Haye, la Russie a été condamnée à payer plus de 50 milliards de dollars de dédommagements aux actionnaires de Yukos. Ce verdict a soulevé des débats passionnés sur le rôle des arbitrages d'investissement, les limites de la souveraineté étatique et les recours juridiques disponibles en cas d'abus de pouvoir. Pourtant, l'affaire demeure complexe, avec des remises en cause judiciaires et des questions sur l'exécution du jugement. L'arbitrage Yukos incarne ainsi un dialogue critique entre les faits économiques, les principes juridiques et les enjeux géopolitiques, illustrant les défis d'une gouvernance mondiale efficace et équitable. Mais, surtout, ce cas illustre le rôle croissant de Stockholm comme centre d’excellence pour le règlement des différends complexes.
Enfin, un autre exemple marquant est l'arbitrage impliquant des disputes commerciales entre multinationales, où Stockholm a su démontrer son impartialité et son expertise juridique. La ville bénéficie d’un cadre légal robuste et de tribunaux spécialisés, attirant ainsi des entreprises du monde entier cherchant des solutions équitables et efficaces pour leurs différends internationaux. Grâce à sa réputation d’intégrité et de professionnalisme, Stockholm continue de s’imposer comme un leader mondial dans le domaine de l’arbitrage commercial.
Jour 3 : Stockholm face aux défis internationaux contemporains
La migration et le droit d’asile
Le dernier jour, nous l'avons consacré à comprendre en profondeur l’un des défis les plus pressants pour la Suède : la migration.
En 2015, la Suède a accueilli un nombre record de demandeurs d’asile, proportionnellement à sa population, devenant un exemple de solidarité internationale. Toutefois, ce choix a également suscité des tensions sociales et politiques. Ce contexte a aussi conduit à une réflexion approfondie sur les politiques d’intégration du pays. Alors que certains programmes innovants visaient à favoriser l'accès à l'emploi et à éduquer les nouveaux arrivant afin de lutter contre la radicalisation et les discriminations, d'autres initiatives ont mis l'accent sur le dialogue interculturel pour renforcer la cohésion sociale. Ces efforts illustrent la volonté de la Suède de conjuguer humanité et pragmatisme face à des défis sans précédent.
Des cas tels que M.A. c. Suède, où un réfugié a contesté une décision d’expulsion pour risque de torture, montrent l’importance de la Suède dans le cadre du système européen des droits humains.
Cette affaire, jugée par la Cour européenne des droits de l'homme en 2015, concerne la déportation d'un ressortissant syrien par la Suède vers son pays d'origine en pleine guerre civile. Le requérant, M.A., un citoyen syrien musulman affilié à la minorité kurde, avait demandé l'asile en Suède en invoquant un risque grave pour sa vie et son intégrité physique en cas de renvoi dans son pays. M.A. soutenait qu'il risquait des persécutions en raison de ses opinions politiques supposées et de son appartenance ethnique. La Suède avait en effet rejeté sa demande d'asile, estimant que les risques invoqués n'étaient pas suffisamment étayés. La Cour a examiné l'affaire au regard de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Elle a estimé que renvoyer M.A. en Syrie, dans le contexte de violence généralisée et d'atteintes systématiques aux droits humains, constituerait une violation de cet article. Cette décision souligne l'obligation stricte des États membres du Conseil de l'Europe de garantir que personne ne soit renvoyé vers un pays où il existe un risque réel de torture ou de traitements inhumains. L'affaire M.A. c. Suède a renforcé la jurisprudence en matière de protection des réfugiés et a rappelé la nécessité pour les autorités nationales d'examiner minutieusement les risques encourus par une personne dans son pays d'origine avant d'ordonner son expulsion. Elle demeure une référence importante dans le domaine des droits des réfugiés et du droit international humanitaire.
Les enjeux sécuritaires et le rôle de l’OTAN
Autre défi actuel pour cet État qui vise à faire rentrer dans la cour des grands de la sphère internationale est l'entrée dans l'OTAN.
Traditionnellement non-alignée, la Suède a récemment réévalué sa politique de défense face aux tensions croissantes en Europe, notamment après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. En 2023, Stockholm a officiellement entamé son processus d’adhésion à l’OTAN, un tournant majeur pour un pays historiquement neutre. Parallèlement à ces évolutions, la Suède a considérablement renforcé sa coopération militaire avec ses voisins nordiques et baltiques. Ces partenariats régionaux, axés sur des exercices conjoints et le partage d'informations stratégiques, visent à garantir une plus grande sécurité collective dans une région où les inquiétudes géopolitiques sont de plus en plus marquées. Cette approche collaborative reflète l'engagement de la Suède à jouer un rôle actif dans la stabilité européenne.
Cette décision a relancé les dilemmes sur le rôle de la neutralité dans le droit international car la doctrine suédoise souligne l’importance de garantir la sécurité tout en respectant les principes du multilatéralisme et du dialogue.
Plusieurs professeurs et chercheurs français se sont penchés sur la question de la neutralité militaire historique de la Suède, un sujet au croisement de l'histoire, du droit international et des relations internationales. Parmi les noms les plus notables figurent Jean-Baptiste Duroselle, spécialiste des relations internationales, et Albert Sorel, historien ayant analysé les équilibres européens. Bien que leurs travaux soient souvent centrés sur des problématiques plus larges, ils offrent des perspectives précieuses pour comprendre les choix stratégiques de la Suède, notamment face à des bouleversements géopolitiques.
D'autres auteurs français contemporains, tels que Bertrand Badie, ont également exploré le rôle des petites puissances et leur capacité à maintenir une position de neutralité dans un contexte international souvent polarisé. Ces travaux permettent d’éclairer les nuances et les défis auxquels la Suède a été confrontée tout au long de son histoire.
Conclusion : Stockholm, carrefour du droit international
En trois jours, Stockholm révèle son rôle unique dans l’histoire et l’évolution du droit international. De la paix de Westphalie au leadership environnemental, en passant par l’arbitrage et les droits humains, la capitale suédoise incarne une vision ambitieuse et humaniste du droit.
Cependant, les défis actuels, qu’ils soient liés à la migration, à la sécurité ou à l’environnement, rappellent que même les nations les plus engagées doivent constamment adapter leurs stratégies. Stockholm, avec sa riche tradition juridique et son ouverture au monde, reste un modèle inspirant pour les juristes et les citoyens qui rêvent d’un ordre international plus juste et durable.
Que vous soyez étudiant, praticien du droit ou simple curieux, un week-end à Stockholm est une plongée dans l’histoire vivante du droit international. Et comme le dit un proverbe suédois : “Det är inte storleken på landet, utan dess hjärta som räknas” – “Ce n’est pas la taille du pays qui compte, mais son cœur.”



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