Nouvel an à Malte: à la croisée du passé et du nouveau dans le droit international

Publié le 20 janvier 2025 à 15:08

Malte, carrefour du droit et de la diplomatie internationale
Au cœur de la Méditerranée, Malte, un archipel d’une richesse culturelle et historique incomparable, occupe une place singulière dans les relations internationales. Cet État insulaire, membre de l’Union européenne depuis 2004, allie une histoire millénaire et une contribution contemporaine notable à la construction du droit international.

Dans cet article, nous vous proposons un voyage juridique à travers l’île, en explorant ses monuments, ses institutions et son rôle dans le développement du droit international, que ce soit à travers les doctrines, les conventions ou encore la jurisprudence.

J'ai en effet eu l'occasion de passer une semaine sur l'île, en traversant son archipel, pendant les vacances de fin d'année. C'est donc par cette destination à la croisée de deux continents, que j'ai décidé de démarrer mon blog. 

Notre voyage a commencé à La Valette, siège de la diplomatie internationale et du droit maritime.

 

1. La Valette, capitale et siège international diplomatique et maritime

Notre voyage commence dans la capitale de Malte, La Valette, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette ville fortifiée, fondée par les chevaliers de l’ordre de Saint-Jean en 1566, incarne une fusion unique entre le droit et la diplomatie. Les Chevaliers de Malte, un ordre religieux et militaire, ont joué un rôle clé dans le développement du droit maritime, un pilier du droit international.

La présence des Chevaliers de Malte sur l’île a marqué un tournant dans la codification des pratiques maritimes. L’Ordre a édicté des règles pour régir les relations commerciales et maritimes dans la Méditerranée, posant ainsi les bases de ce qui deviendra le droit maritime moderne. Parmi leurs contributions, les statuts maritimes de Malte du XVIe siècle, souvent comparés aux “Rôles d’Oléron”, constituent une des premières tentatives d’harmonisation des normes dans la région. 

Un autre aspect fascinant de La Valette est son architecture exceptionnelle, qui reflète des siècles de créativité et d'ingéniosité. Les bâtiments, conçus pour résister aux assauts des envahisseurs tout en incarnant un style baroque raffiné, témoignent du talent des ingénieurs et architectes de l'époque. La Co-cathédrale Saint-Jean, avec ses somptueux intérieurs dorés et ses peintures de Caravage, illustre parfaitement cette alliance entre fonction militaire et art sacré. Ces édifices ne sont pas seulement des merveilles architecturales, mais aussi des symboles du rôle stratégique et culturel de Malte au carrefour des civilisations.


Aujourd’hui encore, Malte est une figure clé dans le droit maritime moderne. Lors de notre visite au Parlement maltais, nous découvrons que Malte a été l’un des États pionniers dans l’élaboration de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982. L’initiative de l’ambassadeur maltais Arvid Pardo, souvent qualifié de “père du droit de la mer”, a conduit à l’introduction du concept de “patrimoine commun de l’humanité” pour les fonds marins situés au-delà des juridictions nationales.

Arvid Pardo avait soutenu, dans son discours historique de 1967 devant les Nations Unies, que les ressources des fonds marins devaient bénéficier à l’humanité entière. Cette vision a largement influencé l’Article 136 de la CNUDM, qui consacre cette idée en droit positif qui disposera que "La zone et ses ressources sont le patrimoine commun de l’humanité". En outre, l’engagement d’Arvid Pardo a été un catalyseur pour la mise en place de l’Autorité internationale des fonds marins (ISA), une organisation créée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) pour réguler les activités minières dans les zones internationales. L’ISA veille à ce que l’exploitation des ressources minérales des fonds marins soit effectuée dans un esprit de coopération internationale et de partage équitable des bénéfices, tout en garantissant la protection de l’environnement marin. Ce mécanisme constitue un exemple concret de la mise en œuvre du principe de “patrimoine commun de l’humanité” dans les affaires maritimes.

 

2. Mdina : Une cité médiévale et un point de rencontre entre le droit canonique et le droit international

Nous avons ensuite poursuivi notre voyage vers Mdina, l’ancienne capitale de Malte, surnommée “la Cité silencieuse”. Cette ville pittoresque, aux ruelles étroites et aux palais baroques, est un témoignage vivant de l’influence historique du droit canonique dans l’île.

Le rôle du droit canonique et de son influence dans les relations internationales est ici évident.
La présence de l’Église catholique à Malte remonte au début de l’ère chrétienne, lorsque l’apôtre Paul fit naufrage sur l’île (un événement relaté dans les Actes des Apôtres, chapitre 28). Mdina, en tant que centre religieux, a vu se développer une interaction entre le droit canonique et le droit séculier. Cette interaction a influencé les normes diplomatiques et juridiques qui régissaient les relations entre les royaumes et la papauté.

Une visite au palais de l’Archevêque de Mdina nous rappelle que Malte continue de jouer un rôle important dans la promotion des principes de paix et de dignité humaine. L’influence du Vatican sur l’île se traduit par un soutien actif à des initiatives telles que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dans laquelle les valeurs chrétiennes ont trouvé un écho. L’Église catholique s'est donc révélée, dans l'histoire de l'archipel, et probablement encore aujourd'hui, être un acteur juridique international.

Un autre aspect fascinant de l’héritage du palais de l’Archevêque est son impact sur la culture et les arts de Malte. Au fil des siècles, ce lieu emblématique a été un centre de patronage artistique, soutenant la création de fresques, sculptures et manuscrits raffinés qui reflètent un mélange unique d'influences européennes et locales. Ces efforts artistiques ont non seulement enrichi le patrimoine culturel maltais, mais ont aussi fait du palais un symbole vivant de l’interconnexion entre la foi, la beauté et l’identité nationale.

 

3. Les Trois Cités : Un patrimoine juridique marqué par la souveraineté et la guerre

Les Trois Cités, Vittoriosa, Senglea et Cospicua, offrent un aperçu fascinant de la lutte pour la souveraineté dans le droit international. Ces villes fortifiées témoignent des guerres et des sièges qui ont marqué l’histoire de Malte et façonné son identité juridique.

D'une part, le Grand Siège de Malte en 1565, qui opposa les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean et l’Empire ottoman, illustre une question centrale du droit international : celle de la légitimité de la souveraineté. Cet événement symbolise la résistance d’un État face à l’expansion d’un autre, un thème encore d’actualité dans le cadre des conflits territoriaux modernes. Un autre aspect marquant du Grand Siège de Malte est le rôle de la stratégie militaire et de l’innovation dans la défense d’un territoire. Les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean ont su utiliser les fortifications de l'île à leur avantage, combinant génie architectural et tactiques militaires adaptées. Cet épisode met en lumière la capacité des petites unités à contrer des forces supérieures en nombre grâce à une planification minutieuse et à un usage efficace des ressources disponibles, un enseignement qui reste pertinent dans l’étude des conflits modernes.

D'autre part, un arrêt marquant de la Cour européenne des droits de l’homme, Borg v. Malta (2004), a réaffirmé l’importance du droit humanitaire même en période de conflit. Cet arrêt, bien qu’émanant d’un litige contemporain, s’appuie sur la longue histoire maltaise de respect des normes juridiques dans des contextes de guerre. Cet arrêt a également abordé un autre aspect essentiel qui est la protection des droits des individus face à l'arbitraire des autorités nationales. La Cour a en effet souligné à cette occasion la nécessité d'un contrôle judiciaire effectif, garantissant que toute décision affectant les libertés fondamentales soit examinée de manière équitable et impartiale. Ce principe est d'une importance cruciale, non seulement dans des périodes de stabilité, mais aussi lors de crises, où les droits individuels sont souvent les plus vulnérables.

 

4. L’Université de Malte : Un laboratoire du droit international contemporain

Une visite à l’Université de Malte, fondée en 1592, ne pouvait pas manquer et nous a permis de comprendre comment l’île continue de contribuer au développement du droit international. Le Centre de droit maritime et de diplomatie, rattaché à l’Université, est reconnu comme un pôle d’excellence.

Malte a également été à l’avant-garde des initiatives environnementales en droit international. La proposition de Malte, en 1988, de placer le changement climatique à l’ordre du jour des Nations Unies a conduit à la création de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Cette initiative visionnaire a également joué un rôle essentiel dans la sensibilisation à l'importance de la coopération internationale pour lutter contre les effets du réchauffement climatique. Elle a jeté les bases de négociations mondiales qui ont abouti à des accords historiques tels que le Protocole de Kyoto et l'Accord de Paris, soulignant la nécessité d'actions collectives pour protéger les générations futures et préserver l'équilibre écologique de notre planète.

D'ailleurs, même l'aquarium situé dans la Baie de Saint Julian, est emblématique de ces questions et offre aux touristes des ateliers et des illustrations du changement climatique et de comment ce phénomène met à dure épreuve les espèces marines et végétales.

Malte est également un centre en plein essor pour l’arbitrage international. La Malta Arbitration Centre Act de 1996 a établi un cadre moderne et attractif pour le règlement des différends internationaux, faisant de l’île une juridiction clé pour les litiges commerciaux dans la région méditerranéenne. En parallèle, Malte se positionne comme une plateforme incontournable pour les médiations transfrontalières. En tant que point de convergence entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, l’île offre des solutions flexibles et efficaces pour la résolution des conflits civils et commerciaux. L’engagement du pays envers les principes de neutralité et de confidentialité, allié à une main-d’œuvre juridique hautement qualifiée, favorise un environnement idéal pour des accords amiables rapides et mutuellement satisfaisants.

 

Malte, une petite île au rayonnement international

Au fil de ce voyage, Malte se révèle comme un microcosme du droit international. Son histoire, ses institutions et ses contributions contemporaines illustrent comment un petit État insulaire peut jouer un rôle non négligeable dans les relations internationales. Depuis les contributions des Chevaliers de Saint-Jean au droit maritime jusqu’aux initiatives environnementales modernes, Malte est un exemple éclatant de la manière dont le droit international peut être façonné par l’histoire, la géographie et la vision d’un peuple. En outre, l’île a joué un rôle clé en tant que pont culturel entre l’Europe, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, favorisant des échanges juridiques et diplomatiques à travers les âges. Cette position stratégique a permis à Malte de devenir un lieu de dialogue international, où les différentes traditions juridiques et coutumes se sont croisées, influençant ainsi les normes et pratiques du droit international contemporain.

Alors que nous quittons les rivages dorés de l’île, une leçon s’impose : même les plus petites nations peuvent devenir des phares de diplomatie et de justice, guidant le monde vers un avenir plus équitable et plus solidaire.

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Commentaires

Mahamat
il y a 7 mois

Imagé, éclairant et très instructif. Un article fort intéressant et facile à la lecture