Lirika et les souvenirs de la guerre au Kosovo

Publié le 24 janvier 2025 à 17:57

J'ai eu l'occasion de rencontrer Lirika, enseignante d'école primaire d'origine kosovare et de recueillir son témoignage sur son adolescence vécue au Kosovo pendant la guerre, ses souvenirs, mais aussi son ressenti et ses espoirs.

Ci-dessous vous trouverez nos quelques échanges et mon panorama sur l'actuel Kosovo qui lutte entre paix, reconstruction et fragilités structurelles.

 

 

Federica : Merci de partager votre histoire avec nous, Lirika. Pour commencer, pouvez-vous nous raconter ce que vous avez vécu pendant la guerre au Kosovo ?

 

Lirika : Bien sûr. J’avais 14 ans lorsque la guerre a éclaté en 1998. Ce fut un bouleversement total. J’ai vu mon village détruit, des proches contraints de fuir, et la peur était omniprésente. Nous passions des nuits cachés dans les caves, écoutant les bruits des bombardements. La séparation d’avec mon père, qui est resté pour protéger notre maison, a été déchirante. Ma mère, mes frères et moi avons dû marcher des kilomètres pour rejoindre un camp de réfugiés en Albanie. Ces souvenirs sont gravés en moi, mais ils m’ont aussi appris la résilience.

 

Federica : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant cette période ?

 

Lirika : Je dirais la solidarité entre les gens, malgré tout. Même dans l’horreur, il y avait des gestes d’humanité. Les familles s’entraidaient, partageaient le peu qu’elles avaient. Cela m’a donné de l’espoir, même dans les moments les plus sombres.

 

Federica : Comment avez-vous réussi à reconstruire votre vie après la guerre ?

 

Lirika : La reconstruction a été difficile, mais essentielle. Nous sommes retournés au Kosovo après la guerre et avons découvert que notre maison avait été détruite. Nous avons tout recommencé à zéro. J’ai poursuivi mes études malgré les obstacles, car je voulais contribuer à la reconstruction de mon pays. Aujourd’hui, je suis enseignante, et transmettre le savoir est ma manière de participer à un avenir meilleur pour notre communauté.

 

Federica : Quel regard portez-vous sur la situation actuelle au Kosovo ?

 

Lirika : Le Kosovo a parcouru un long chemin depuis la guerre, mais les défis sont encore nombreux. Les tensions ethniques persistent, et l’économie reste fragile. Cependant, je vois une jeunesse pleine d’ambition et d’idées pour bâtir un avenir plus stable et pacifique. Cela me donne de l’espoir.

 

Federica : Qu’aimeriez-vous dire à ceux qui lisent votre témoignage ?

 

Lirika : J’aimerais leur dire que la paix est fragile et précieuse. Ce que nous avons vécu au Kosovo ne devrait jamais se reproduire, ni ici ni ailleurs. Chaque personne peut jouer un rôle pour construire un monde plus juste et tolérant. Je crois fermement que l’éducation, le dialogue et la solidarité sont les clés.

 

Federica : Merci beaucoup, Lirika, pour ce témoignage poignant et inspirant.

 

Lirika : Merci à vous de m’avoir donné l’occasion de raconter mon histoire.


 

 

Pour rappel, le Kosovo, situé dans les Balkans, a déclaré son indépendance de la Serbie en 2008. Cette déclaration a été reconnue par plus de 100 pays, mais pas par la Serbie ni par certains acteurs internationaux comme la Russie et la Chine. Même la Cour Internationale de Justice de La Haye a, dans un avis du 22 juillet 2010, reconnu que la déclaration kosovare d'indépendance ne violait pas le droit international. Cette situation a laissé le pays dans un statut contesté, où les tensions entre les populations albanaise majoritaire et serbe minoritaire restent vives. Ces tensions sont enracinées dans les conflits ethniques qui ont culminé avec la guerre du Kosovo en 1998-1999.

 

Aujourd’hui, le Kosovo est un symbole des défis de la reconstruction post-conflit, de la coexistence interethnique et des efforts internationaux pour promouvoir la stabilité dans les Balkans.

 

Les tensions entre la communauté albanaise, qui représente environ 90 % de la population, et la minorité serbe, concentrée principalement dans le nord, continuent de marquer la vie quotidienne. La ville de Mitrovica, divisée entre Nord et Sud, est emblématique de cette fracture.

 

En septembre 2023, une attaque menée par un groupe armé serbe a ravivé les inquiétudes sur la sécurité et la stabilité. Cet incident, qui a entraîné la mort de quatre personnes, dont un policier kosovar, a souligné la persistance de la méfiance et du potentiel de violence. Les autorités kosovares et serbes s’accusent mutuellement de provoquer des incidents, tandis que la communauté internationale, en particulier l’Union européenne et l’OTAN, cherche à désamorcer ces tensions.

 

Les accords de normalisation, notamment ceux soutenus par l’Union européenne dans le cadre du dialogue de Bruxelles, avancent lentement. Bien que des progrès aient été réalisés, comme la création d’un accord sur la gestion des frontières, la mise en œuvre reste un point de friction, notamment sur le statut des municipalités à majorité serbe.

 

Le Kosovo est actuellement dirigé par le gouvernement du Premier ministre Albin Kurti, du mouvement Vetëvendosje (“Autodétermination”). Ce parti, arrivé au pouvoir en 2021, a promis des réformes économiques et une lutte contre la corruption. Toutefois, le gouvernement est critiqué pour son approche intransigeante dans les négociations avec la Serbie et pour son incapacité à apaiser les tensions interethniques.

 

Le Kosovo se prépare actuellement à des élections législatives prévues le 9 février 2025. Ces élections seront cruciales pour évaluer l’état de la démocratie dans le pays. L’Union européenne a envoyé une mission d’observation pour superviser ce processus, démontrant son engagement à soutenir la stabilité politique et la transparence au Kosovo.

 

Sur le plan économique, le Kosovo fait face à de nombreux défis. Bien que le pays ait connu une croissance économique moyenne de 3 à 4 % par an, cette croissance reste insuffisante pour répondre aux besoins d’une population jeune et en forte augmentation. Le chômage, en particulier chez les jeunes, atteint des niveaux alarmants, avoisinant les 30 %. Beaucoup de Kosovars émigrent pour chercher des opportunités ailleurs, notamment en Europe occidentale.

 

Le Kosovo dépend encore fortement des envois de fonds de sa diaspora, qui représentent environ 15 % du PIB. Cette dépendance rend l’économie vulnérable aux fluctuations économiques mondiales. Par ailleurs, les investissements étrangers directs restent limités en raison de l’instabilité politique et des perceptions de corruption.

 

Le gouvernement a lancé plusieurs initiatives pour attirer les investissements et soutenir les petites et moyennes entreprises, mais les résultats tardent à se matérialiser. L’éducation et la formation professionnelle restent des priorités pour améliorer l’employabilité des jeunes et stimuler l’innovation.

 

Le Kosovo est membre de certaines organisations internationales, comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Cependant, son adhésion à des institutions majeures comme l’Organisation des Nations unies (ONU) ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est bloquée par le veto de la Russie et de la Chine.

 

L’Union européenne joue un rôle clé dans la stabilisation du Kosovo à travers son engagement dans le dialogue de normalisation des relations avec la Serbie et son soutien financier à travers des fonds de préadhésion. Cependant, l’adhésion à l’UE reste un objectif lointain en raison des tensions persistantes et des exigences de réformes institutionnelles, économiques et judiciaires.

 

Le Kosovo a également demandé à intégrer le Conseil de l’Europe et l’OTAN, mais ces processus sont également ralentis par le manque de reconnaissance unanime de son statut.

 

Les relations tendues avec la Serbie dominent l’agenda diplomatique du Kosovo. Bien que des accords aient été signés dans le cadre du dialogue de Bruxelles (comme ceux sur la gestion des frontières ou la reconnaissance des diplômes), leur application reste problématique. La question de l’Association des municipalités serbes, une entité visant à donner plus d’autonomie aux localités à majorité serbe, reste particulièrement controversée.

 

La Serbie, soutenue par la Russie, continue de contester activement l’indépendance du Kosovo, bloquant son intégration dans les institutions internationales et menant des campagnes diplomatiques pour convaincre d’autres pays de retirer leur reconnaissance.

 

Les États-Unis restent le principal allié du Kosovo, jouant un rôle central dans sa reconnaissance et sa sécurité. La base militaire américaine de Camp Bondsteel témoigne de cet engagement. Washington soutient activement le développement économique et institutionnel du Kosovo, tout en encourageant une résolution pacifique des tensions avec la Serbie.

 

L’Union européenne est également un acteur majeur, bien que son approche soit parfois critiquée pour son manque de fermeté envers la Serbie. Le Kosovo bénéficie de financements européens dans le cadre de l’Instrument d’aide de préadhésion (IAP), mais le chemin vers l’adhésion à l’UE reste semé d’embûches en raison de la nécessité de réformes structurelles et des divisions internes au sein de l’Union concernant la reconnaissance du Kosovo.

 

 

Le Kosovo occupe une position stratégique dans les Balkans, une région historiquement instable. Sa stabilité est perçue comme essentielle à la paix dans la région. L’OTAN, à travers sa mission KFOR, maintient une présence militaire pour garantir la sécurité et prévenir tout retour à la violence.

 

Le Kosovo aspire également à jouer un rôle régional plus actif en participant à des initiatives de coopération économique et politique, telles que l’Open Balkan Initiative. Cependant, ses relations difficiles avec la Serbie et les résistances internes freinent ces ambitions.

 

 

 

Malgré les nombreux défis, le Kosovo continue de travailler pour renforcer sa position sur la scène internationale. Les dirigeants kosovars s’efforcent de diversifier leurs alliances, tout en poursuivant leur intégration dans les structures euro-atlantiques. La reconnaissance internationale reste un objectif clé, avec des efforts diplomatiques constants pour convaincre les pays non reconnaissants.

 

L’éducation d’une jeune génération ouverte sur le monde et déterminée à bâtir un avenir meilleur est également un facteur d’espoir. Si les tensions peuvent être surmontées et si les réformes nécessaires sont mises en œuvre, le Kosovo pourrait devenir un modèle de résilience et de progrès dans une région souvent marquée par des divisions.


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